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LETTRE D’HELENE A JASMINE
Chère Jasmine
Oserais-je vous avouer que c’est votre si joli prénom qui m’a interpellée avant même de découvrir votre courrier ? Un prénom fleuri et doux, un petit déclic provoqué, preuve de l’existence dans nos cerveaux, d’une part parfois insondable qui guide nos choix, et donc, ici, ce fut déterminant pour éviter que ma procrastination ne remette à plus tard ou à jamais, la lecture de votre lettre.
Je vais garder le vouvoiement Jasmine pour m’adresser à vous, j’aime cette forme grammaticale qui nous offre de si jolies formes conjuguées… Je n’ai pas répondu à la lettre initiale, celle de Barbentane : ce n’est pas sa colère qui m’a bloquée mais l’agressivité et la violence que je fuis comme la peste, et d’ailleurs depuis Psychose, furie et rideau de douche m’évoquent directement Norman Bates !
Le feu, je le préfère dans ma cheminée, je le regarde danser face à mon ordinateur, dehors le vent souffle avec rage et la forêt si proche de ma maison bruisse et se tord : autant vous dire que je suis très égoïstement armée pour fuir le monde et ses tourments s’il m’en prenait l’envie. Sauf que le monde me rattrape toujours et votre interrogation sur la guerre fait écho à mon propre questionnement.
Oui, la guerre, c’est sale et tuer des gens c’est mal. Une fois posées, ces évidences se heurtent comme des billes de flipper qui font tilt de tous les côtés. Maintenant que cette éventualité pourrait devenir réalité, elle interroge toutes les strates de ma conscience mais aussi celles de mon histoire. Dans ma famille on a pris les armes : mes grands-parents maternels républicains espagnols se sont battus contre Franco et le fascisme : cette guerre était-elle sale et laide ? Oui, assurément !
Cette guerre était-elle juste ? A mes yeux, oui, lutter contre le fascisme n’était pas une option, et l’enjeu de ce combat, terrain d’essai pour Hitler fut décisive pour la suite d’autant que les pays voisins ne bougèrent pas le petit doigt pour aider le gouvernement élu. Bien sûr, il y eut les Brigades internationales. Venus de différents pays, ils vinrent soutenir les Républicains. Parmi eux : Georges Orwell, Hemingway, Koestler, André Malraux, la philosophe Simone Weil, Georges Bernanos. Leur devise : « Votre liberté est aussi la nôtre ».
Plus nombreux, soutenus par des états voisins, auraient-ils pu, les Espagnols, gagner cette guerre ? Ce fut le contraire : une défaite qui installa en Espagne une dictature qui dura 36 ans, la seule dictature européenne aussi longue !
Mes autres grands-parents, Français, eux, se sont aussi battus contre l’Allemagne et nous ont évité de vivre en dictature pendant les décennies suivantes. Alors, oui, je suis pacifiste, power flower, c’est ma génération. J’ai chanté « Parachutiste » avec Maxime Le Forestier et adoré Boris Vian ! De plus, je suis protestante donc le « tu ne tueras point » résonne avec l’idée du sacré et du respect de la vie humaine.
Un ami cher à mon cœur me demandait l’autre jour, alors que nous évoquions l’Ukraine : « Que penser de la guerre en tant que chrétien ? Que faire à notre niveau ? » Je lui répondis, sous forme de boutade : « Et si nous lâchions nos 160 ogives nucléaires simultanément sur Moscou, ça les calmerait, non ? » Il me fit remarquer que cette boulimie de massacre radioactive était très peu chrétienne, ce que je reconnus facilement.
La guerre, quel mot absolument terrifiant mais est-il le seul ? Occupation, déportation, élimination : des mots qui peuvent résonner en temps de paix. Que faisons-nous pour tous ceux qui souffrent injustement ? Que faisons-nous contre les mots qui réécrivent l’histoire ?
En 1963, se tint, à Francfort, le procès que l’on appela « Procès d’Auschwitz », seul procès entièrement instruit et organisé par les Allemands eux-mêmes. Un des accusés, Karl Höcker, était responsable de la rampe d’accès du camp (celle où les Allemands triaient ceux qui allaient mourir le jour même de ceux qui partaient dans les baraquements). Sa défense fut simple : « En triant les Juifs, il en sauvait, donc cette rampe d’accès était pour lui un moyen de sauver les Juifs ». Pour un peu, on aurait dû lui offrir une médaille…
L’histoire peut sans cesse être écrite et réécrite. N’entendons-nous pas une partie du monde accuser l’Ukraine d’être l’agresseur, d’être le pays responsable de la guerre ? Est-ce que nous sommes en mesure d’analyser ce qui nous attend si tel ou tel parti politique, allié de Poutine, devient majoritaire chez nous ? Le diable ne se cache-t-il pas dans le pacifisme actuel ? Allons-nous laisser un peuple souverain se faire grignoter puis détruire ?
Je vous avoue que je termine souvent ces raisonnements par la question fatidique : serais-je capable d’aller me battre s’il le fallait ?
Voilà, Jasmine, où je suis allée cheminer après vous avoir lue. Je vous souhaite le meilleur et je remercie Lionel de tant aimer les paroles, les mots et la communication qu’il en devient passeur de messages entre inconnus, des auditrices et auditeurs que je salue en toute humanité.
Hélène
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