Veuillez recevoir, c’est une nouvelle émission commençant en octobre 2024, diffusée chaque second vendredi du mois puis écoutable en ligne sur Radio FM Plus – 91 FM. (https://www.radiofmplus.org/?s=veuillez+recevoir)
- Réception des lettres répondant à celle de Jasmine (Veuillez recevoir #3) : jusqu’au 5 mars 2025.
- Diffusion radio de l’émission Veuillez recevoir #4: vendredi 14 mars.
- Pour cette émission, une ou plusieurs lettres répondant à celle de Jasmine (texte ci-dessous) seront choisies, lues, enregistrées, diffusées.
- Chaque lettre proposée doit se tenir dans une durée de lecture comprise entre 5 et 10 mn.
- Les auteurs et autrices doivent prendre connaissance des règles de participation (voir Veuillez recevoir #1)
Adresse électronique: veuillezrecevoir@gmail.com (format PDF ou Word)
Voie postale: Emission Veuillez recevoir – Radio FM Plus – 4 Rue Saint-Barthélémy – 34000 Montpellier
LETTRE DE JASMINE A ARMAND BARBENTANE
Bien cher Barbentane, (une rapide consultation d’Internet m’a fait découvrir ce petit village provençal dont tu portes le nom… ainsi que son château). Tu as écrit ta lettre en « donnant du tu » ; «dare del tu» comme disent les Italiens, alors je continue. J’espère que tu vas bien et que tu profites bien de ton beau rideau de douche tout neuf. J’ai « écouté » ta lettre. Tu poses de multiples questions, et ouvres de très nombreuses perspectives… Un grand merci… Je me suis intéressée à certaines d’entre elles. Je te fais part de mes réactions, me joignant ainsi à la petite promenade épistolaire proposée par Lionel.
J’ai tout d’abord été interpellée par ton irritation, tes mots parfois grossiers, en capitales parce que justement ce que tu voulais dire te paraît CAPITAL, une façon de montrer ton indignation, ta désapprobation et ton exaspération. Combien il est difficile d’intégrer les pensées, les idées, les opinions parfois même les actions des autres lorsqu’elles sont éloignées de nos propres convictions, cela énerve, on le sent dans ta lettre : cela t’énerve. J’ai été intriguée par ta façon de gérer ton agacement. Tu as alors utilisé une méthode classique proposée aux enfants : écrire sur un papier ce que tu n’apprécies pas, puis le détruire. Tu as décidé, toi, de le déchirer et le brûler… destruction à double détente… laissant au feu le soin d’emporter la pensée négative, mais peut-être également ta colère – sans doute une bonne façon de la dompter – ; pour le rideau de douche, tu es passé à la vitesse supérieure (je pense à l’odeur que cela a dû dégager dans ton logement !). Pour ma part, je ne peux pas te suivre, car – de façon très pragmatique, pour éviter de voir pendre devant ma douche une loque tâchée et moisie, d’avoir une tringle disgracieuse, de devoir régulièrement nettoyer le tout, pour à terme polluer davantage la planète avec un énième déchet plastique – j’ai décidé de ne pas en installer… Je dois nettoyer le sol et les murs, mais bon… Dans tous les cas et c’est un peu cela le bénéfice de l’âge (j’ai 69 ans) avec le temps, j’ai compris que – dans la plupart des cas – la colère est en moi parce que je n’arrive pas à régler une situation, à comprendre une opinion, à changer les autres… je suis convaincue que la plus belle idée perd toute sa valeur à partir du moment elle est imposée alors j’évite d’obliger les autres à penser comme moi, même si parfois c’est très difficile. C’est donc sur cela que je dois travailler pour retrouver la sérénité qui est une des conditions au bonheur… Mais de cela j’en parlerai plus tard.
Je suis d’accord avec ta réflexion sur la guerre lorsque tu dis qu’il faut « parler contre elle car parler pour, c’est inconcevable », évidemment ! Il faudrait se demander comment justement peut-on « parler contre elle ». En travaillant à tous les niveaux cette envie irrépressible d’imposer aux autres ma propre opinion, en proposant – dès le plus jeune âge – une approche ouverte sur l’autre, son bien-être… Je partage donc mille fois ton avis. Récemment deux jeunes femmes – témoins de Jehova – ont sonné à ma porte et m’ont demandé ce que je pensais de notre société, de la guerre… Je leur ai répondu que je ne connaissais pas grand monde qui se positionne « pour » la guerre. Mais sait-on jamais… Pour moi la guerre c’est absurde et ignoble, elle touche les plus faibles. Enfant, je me disais : « c’est idiot de faire la guerre, car au bout du compte, à la fin, il faut bien s’entendre … alors que chacun y a perdu énormément : les vies de tous ceux qui se sont battus, les victimes civiles, une considérable énergie et pour ceux qui aiment « compter », énormément d’argent ! Et comme il y en a beaucoup qui « aiment compter », je ne comprends pas qu’il y ait encore des guerres : cet argument devrait les freiner. Ah, j’oubliais, c’est qu’ils pensent qu’ils vont gagner… Oui, la guerre incarne la souffrance et la mort et compte tenu de notre rapport à la mort, on ne comprend vraiment pas pourquoi les femmes et les hommes (peut-être celles-là moins que ceux-ci) la choisissent comme moyen pour résoudre leurs problèmes.
Tu abordes également la douloureuse question de la maladie et de la mort… Cette « disparition » que nous redoutons tous. Quand elle touche nos proches elle nous renvoie à l’absence et à une nouvelle solitude qu’il nous faut dompter. Elle est également source d’angoisse pour nous car elle signifie l’inconnu et la peur de cette aventure unique et inexplorée pour chacun d’entre nous. Pourtant comme cela serait angoissant de vivre extrêmement longtemps. Quelle horreur ! La vie est belle parce que justement elle est finie, limitée ; elle prend alors tout son sens et nous invite à en profiter au maximum. Tu parles, Barbentane, de la solitude, celle que tu as ressentie, celle que d’autres vivent de façon plus ou moins intense. Si Moustaki s’en est fait « presque une amie », chacun la connaît de façon plus ou moins prégnante, elle est parfois désirée, souvent redoutée. La maman seule avec ses enfants agités, aspire le soir à une solitude réparatrice, l’ouvrier, l’infirmière, le commerçant, l’enseignant, aimeraient parfois y goûter – même au beau milieu de la journée -. Mais à l’occasion, elle nous surprend, s’impose à nous. Je l’ai expérimentée cette solitude dont tu parles, lorsque mon conjoint est décédé. D’autant plus marquée que c’était un véritable bataillon qui intervenait pour s’occuper de lui. Et quand le gros du bataillon était présent, j’en ai souvent critiqué l’agitation, les bavardages, les conversations sur téléphone portable. Pour ma part, je passais (avec bonheur) énormément de temps auprès de celui avec qui j’ai partagé presque cinquante ans – temps dont je tentais de m’imprégner au maximum parce que je savais que cela aurait une fin. Et voilà, d’un coup la maison s’est vidée ! je me suis surprise à aller dans des lieux publics pour rencontrer des gens, à la médiathèque, à la salle de sport… Pour me divertir mais aussi pour ne pas rentrer et ressentir de façon si prégnante le manque. J’ai alors constaté qu’il m’était important de créer du lien, de partager, de sortir, d’échanger… mais également d’écouter. Je n’aime donc pas trop être seule avec ma solitude.
J’en viens aux petits faits quotidiens qui te comblent, te font réagir, parfois t’exaspèrent… au bonheur dont tu parles avec beaucoup de poésie. Alors je te parle moi aussi de ces moments que je viens de vivre ce dimanche : installée, après quelques jours de pluie, au soleil avec ce petit nuage qui le cache me laissant dans l’attente agréable du retour de la chaleur de ses rayons… ces jeunes gens qui étaient avec moi à l’arrêt de tram et m’ont proposé de me laisser une place assise (j’ai refusé car je sortais du cinéma Diagonal où je venais de passer deux heures dans un fauteuil relativement confortable) ce que je leur ai expliqué en les remerciant… cette jeune fille qui m’a demandé mon prénom et voulait connaître mon métier et mon âge… m’a parlé de la difficulté dans la relation avec son père (exagérant peut-être – ou pas – la gravité de sa situation)… Voyant ses camarades à son côté, je lui ai mentionné leur présence l’invitant à profiter de cette camaraderie et j’ai vu une réelle connivence entre eux… je me suis souvenue de mes sorties avec une amie le dimanche, nos bavardages sans intérêt particulier mais si intenses dans leur simplicité et cela m’a émue. C’est peut-être cela le bonheur, profiter de ces petits moments où chacun se sent bien. Une forme de tendresse. Je peste d’ailleurs souvent contre reportages et commentaires qui nous font croire que la génération dite « alpha » est égoïste, violente, inconséquente… Même si je redoute les trottinettes de certains, moi, je les trouve bien gentils, la plupart du temps. Ils m’amusent, me font sourire. Ils connaissent les mêmes émotions et les mêmes émois que nous. J’apprécie leur présence, peut-être parce que j’étais enseignante et que j’aimais beaucoup ce métier ; j’ai l’impression que c’est réciproque… peut-être parce qu’ils voient en moi leur « mamie » dans une forme de tendresse universelle que Bourvil chantait si bien.
Voilà, en relisant ma lettre je constate que je suis restée très « fleur bleue », on ne change pas !
Je te remercie donc vivement pour ta missive qui m’a invitée à réfléchir, je remercie également Lionel d’avoir eu une si bonne idée d’échange épistolaire.
Excellente fin de journée ! Je t’embrasse. Jasmine.
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