Le dépassement
Introduction
La notion de dépassement en psychanalyse se réfère au processus par lequel on parvient à surmonter, transcender ou dépasser une forme particulière de pensée, de comportement ou de sentiment qui a été problématique ou limitante dans le passé. C’est un concept essentiellement lié à la capacité de chacun à grandir, à mûrir et à se développer psychologiquement.
Un aspect clé de la notion de dépassement est qu’elle est un processus dynamique et en cours, plutôt qu’un état statique ou final. Autrement dit, le dépassement ne signifie pas qu’on a « réglé » un problème une fois pour toutes, mais plutôt qu’on est en mesure de le gérer de manière plus efficace et productive, et que l’on continue de faire des efforts pour nous améliorer et évoluer.
Pour commencer , j’aimerai vous illustrer la notion de dépassement avec 3 mythes célèbres : ceux du roi singe , d’Héraclès et de Siegfried, avant d’ensuite terminer par deux cas pratique psychanalytique.
A/ Le Roi Singe
Sun Wukong, le roi singe , est né d’une pierre magique au sommet d’une montagne, montrant dès le début sa nature exceptionnelle et surnaturelle. Doté d’une grande intelligence et d’une grande force, il apprend rapidement les arts martiaux et obtient de nombreux pouvoirs magiques.
Cependant, son égo surdimensionné et son manque de respect pour les règles attirent l’attention des dieux célestes. Malgré plusieurs tentatives pour le contrôler, Sun Wukong défie constamment l’autorité, y compris celle du Bouddha lui-même. En conséquence, le Bouddha le punit en l’emprisonnant sous une montagne.
La naissance extraordinaire de Sun Wukong et son acquisition rapide de pouvoirs magiques peuvent être interprétées comme symbolisant un Moi surdimensionné et indiscipliné. Dans la perspective de la psychanalyse freudienne, le roi singe semble être guidé par le principe de
plaisir, où il cherche à satisfaire ses désirs sans tenir compte des conséquences. Son emprisonnement sous la montagne représente une confrontation forcée avec la réalité et les limites de ses actions pulsionnelles.
Après cinq siècles, il est libéré par le moine Tang Sanzang, à condition qu’il l’aide dans son pèlerinage pour récupérer les sutras bouddhistes de l’Occident. C’est à ce moment que son véritable voyage de dépassement commence.
Le voyage vers l’Occident est rempli de nombreux défis et épreuves ou le sujet doit apprendre à maîtriser ses pulsions, à respecter les règles et à penser aux autres avant lui même. Ce voyage représente un processus de maturation du Moi, où le héros apprend à équilibrer ses désirs personnels avec les exigences de la réalité extérieure.
A la lumière des idées de Carl Jung, cette épopée est comparable à une quête d’individuation, un processus par lequel le héros atteint une plus grande conscience de soi et de son individualité. En surmontant les obstacles de son voyage, Sun Wukong est non seulement confronté à ses propres défauts et erreurs, mais il apprend aussi à les accepter et à les intégrer dans son identité.
B/ Héraclès
Héraclès, fils de Zeus et d’Alcmène, est né mortel mais avec une force extraordinaire. Héra, l’épouse de Zeus, jalouse de cette union illégitime, poursuit Héraclès de sa rancune et le conduit à un accès de folie où il tue sa femme et ses enfants.
Horrifié par son acte, il consulte l’oracle de Delphes pour savoir comment il peut se racheter. L’oracle lui ordonne de servir le roi Eurysthée pendant douze ans et d’accomplir tous les travaux qu’il lui demande. Ce sont les fameux Douze Travaux d’Hercule.
Dans le contexte de la psychanalyse, le meurtre de sa femme et de ses enfants par Hercule est une expression tragique de la pulsion de mort de Freud, un instinct autodestructeur qui peut se retourner contre les autres. La folie qui a conduit à cet acte révèle également une manifestation de conflits inconscients non résolus.
Les douze travaux d’Héraclès sont le cheminement de son processus de dépassement, où il est contraint de travailler à travers sa culpabilité et de transformer ses pulsions destructrices
en actions constructives et bénéfiques pour la société – un processus que Freud appelle la sublimation.
Par exemple, le premier travail – tuer le lion de Némée et ramener sa peau – oblige Héraclès à confronter une bête féroce et apparemment invulnérable. Cette tâche est une métaphore de la confrontation avec ses propres peurs et pulsions intérieures, nécessitant non seulement la force physique mais aussi le courage émotionnel.
Le dernier travail – capturer Cerbère, le chien à trois têtes qui garde l’entrée du monde souterrain – est comme une descente symbolique dans les profondeurs de l’inconscient, où Héraclès doit affronter ses propres démons intérieurs. C’est un autre exemple de dépassement, où le héros surmonte sa culpabilité et atteint une forme de rédemption.
C/ Sigurd
Voici l’histoire de Sigurd (aussi connu sous le nom de Siegfried dans la tradition germanique), un héros légendaire de la mythologie nordique.
Sigurd est le personnage central de la Saga des Völsungar, où il est le fils posthume de Sigmund, le roi des Völsungar. Elevé par le forgeron Regin, Sigurd se voit confier la mission de tuer le dragon Fafnir, qui était autrefois le frère de Regin mais a été transformé en dragon à cause de sa cupidité.
Regin conçoit une épée pour Sigurd, mais celle-ci se brise à deux reprises. Finalement, Sigurd récupère les fragments de l’épée de son père, Gram, et Regin la refait pour lui. Avec cette épée, Sigurd tue Fafnir.
L’histoire de Sigurd est également une illustration de la notion de dépassement. Le héros doit surmonter de nombreux obstacles pour atteindre son objectif, y compris la trahison de Regin, qui planifie sa mort après avoir tué le dragon.
La transformation de Fafnir en dragon peut être interprétée comme une représentation de l’inconscient qui a été refoulé – dans ce cas, la cupidité et la trahison de Regin. Le dragon symbolise ce que Carl Jung appelait l’Ombre, les aspects refoulés et non reconnus de soi même. En tuant Fafnir, Sigurd doit confronter et surmonter son Ombre, une tâche qui nécessite un grand courage et une grande persévérance.
La nécessité pour Sigurd de refaire l’épée de son père se rapproche du processus de deuil et de résolution d’un conflit œdipien. L’épée brisée symbolisant la perte de son père et l’absence d’un modèle masculin dans sa vie. En reconstruisant l’épée, Sigurd fait non seulement preuve d’autonomie, mais il intègre aussi symboliquement une partie de l’identité de son père. C’est une autre forme de dépassement, où Sigurd travaille à travers son passé et devient son propre homme.
2/ Psychanalyse
Dans l’approche freudienne classique de la psychanalyse, le dépassement est compris en termes de résolution des conflits inconscients et de libération du sujet de l’emprise du passé. L’un des principaux objectifs de la psychanalyse est d’aider le sujet à prendre conscience de ces conflits inconscients et à les résoudre afin de réduire leur influence sur son comportement actuel.
Freud pensait que bon nombre des problèmes psychologiques de l’adulte avaient leurs racines dans des expériences ou des conflits non résolus de l’enfance, et que ces problèmes persistaient souvent parce qu’ils étaient refoulés, ou maintenus hors de la conscience.
La notion de dépassement dans cette approche implique donc un processus par lequel ces conflits ou problèmes refoulés sont ramenés à la conscience, explorés et résolus. Cela peut impliquer de travailler à travers des souvenirs douloureux ou traumatiques, à confronter et à gérer des sentiments difficiles, et à changer des schémas de pensée ou de comportement dysfonctionnels.
Freud a décrit de nombreux cas dans son travail qui illustrent le concept de dépassement. Deux des cas les plus célèbres sont ceux d’Anna O. et du « petit Hans ».
Le cas d’Anna O. : Anna O. est le pseudonyme de Bertha Pappenheim, une patiente de Josef Breuer, un collègue et mentor de Freud. Anna O. souffrait d’hystérie, un diagnostic psychiatrique courant à l’époque, qui comprenait une variété de symptômes physiques et mentaux. Avec l’aide de Breuer, Anna a commencé à raconter des histoires sur ses symptômes, ce qui a souvent conduit à leur soulagement. Breuer et Freud ont qualifié ce processus de cure par la parole ou de catharsis, et c’est l’un des fondements de la méthode psychanalytique.
Le cas du « petit Hans » concerne un garçon de cinq ans qui avait une peur phobique des chevaux. Freud a interprété cette peur comme un déplacement de la peur de Hans de son père, et une manifestation de ce que Freud a appelé le complexe d’Oedipe. Freud a aidé le père de Hans à discuter de ces problèmes avec son fils, ce qui a finalement conduit à une réduction de la peur de Hans des chevaux. Ici, le dépassement a été illustré par le processus de Hans travaillant à travers ses conflits oedipiens et en surmontant sa peur phobique.
3/Conclusion
Ces histoires partagent toutes le thème du dépassement, où les protagonistes sont amenés à confronter et à travailler à travers leurs peurs, leurs désirs et leurs conflits internes, aboutissant à une croissance personnelle et à une transformation. Cela reflète l’approche psychanalytique , où le travail thérapeutique implique de faire face à l’inconscient pour résoudre les conflits internes et travailler à travers le traumatisme et les pulsions internes pour permettre un plus grand bien-être et une plus grande maturité psychique.
Lucas Bielli.
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