Peur de son ombre…

Les tragiques événements qui viennent de se produire à Paris ont suscité bien des commentaires, en particulier celui invitant à ne pas faire d’amalgame, à bien distinguer islamisme (agressif) et islam (pacifique), pour éviter de stigmatiser une population elle-même victime des activités terroristes. Ce discours tolérant et victimisant, humaniste et plein de bons sentiments, a suscité une majorité d’assentiments.

Cependant je ne le partage pas. Pour plusieurs raisons, certaines de surface, une autre de fond.

 

D’abord je fais remarquer que beaucoup de textes du Coran, comme aussi de la Bible, sont d’une très grande violence. On y voue aux gémonies les « mécréants », et on appelle sur eux le châtiment divin. Bien sûr les exégètes d’esprit ouvert disent qu’il faut les contextualiser, et dire qu’explicables en leur temps, ils n’ont plus de pertinence aujourd’hui. Peut-être aussi serait-il bon de leur donner une signification symbolique, faire par exemple du combat (djihad) une lutte non contre un ennemi extérieur, mais une lutte intérieure ? Mais le problème est que ces exégètes humanistes ne sont pas majoritaires dans leur communauté, et que l’interprétation littérale est souvent la seule à y être reçue – et parfois, on le voit bien aujourd’hui, de façon catastrophique.

D’autre part le Texte sacré est présenté comme venant directement de Dieu : c’est le « livre de Dieu ». On ne peut rien en retrancher et rien y rajouter. Il faut le prendre tel quel, dans son hétérogénéité même. Qu’importe alors que des passages d’« amour » y voisinent avec des passages de haine ! Il y aurait certes de quoi faire réfléchir sur la nature hétéroclite d’un tel Livre. Mais rares sont ceux qui se posent la question de son unité.

Je répète que le problème se pose exactement dans les mêmes termes pour la Bible, aussi bien la juive que la chrétienne. Il faudrait pourtant y voir, comme les chrétiens protestants libéraux, non pas le livre « de Dieu », mais le livre d’hommes parlant de Dieu. Alors on pourrait faire le tri, admettre ce qui convient à la conscience humaine, et rejeter le reste. Mais ces esprits, là encore, sont minoritaires.

 

J’en viens à la question de fond. Il me semble que tant que l’homme posera comme extérieure et antérieure à lui une Puissance transcendante, avec laquelle il passe contrat ou alliance, le récompensant s’il lui obéit, et le punissant dans le cas contraire, il restera dans une position de soumission infantilisante, grosse de toutes les catastrophes dont les événements actuels sont un tragique échantillon.

En effet, plus un être s’abaisse et se sent petit face à un Être qui le dépasse, plus il devient agressif et violent. On le voit bien dans la vie quotidienne. Ce sont les frustrés, les inhibés qui finissent par tourner vers l’extérieur la violence qu’ils ont commencé par s’imposer à eux-mêmes. Plus petit se sent le chien, plus fort il aboie. Qui a peur, fait peur. Qui se fait mal, fait du mal.

Or cette Puissance, c’est l’homme qui la fabrique pour justifier sa peur essentielle devant un monde qu’il croit ne pas pouvoir comprendre par ses propres forces, et pour justifier aussi, corrélée à cette peur, l’espérance de la voir disparaître. Comme les enfants et les primitifs, il projette à l’extérieur de lui-même en les objectivant des états psychologiques qui sont en lui, il se crée des fantômes justifiant ses peurs et la nécessité de les conjurer. Bref il redoute ces dieux, ou ce Dieu, sans se rendre compte qu’ils ne sont que l’alibi de sa propre faiblesse et le reflet des désirs qu’il éprouve d’y voir porter remède, sans comprendre qu’en définitive ils ne viennent que de lui-même. Il a peur de son ombre…

Ce processus est-il fatal ? Ne pourrait-on espérer d’en voir un jour la fin ? Le problème est que de génération en génération, par la force de l’éducation, du conditionnement contraignant et brutal dont l’enfance est victime, le schéma s’intègre dans l’âme et tisse l’essence même de l’être.

Notez aussi que la société s’accommode très bien du « regard de Dieu » posé sur ses membres, et que parfois elle l’exige : il garantit l’ordre social, en retenant d’agir ceux qui pourraient le mettre en péril – mais cela, seuls certains esprits cyniques le voient.

Cette intégration dans notre pensée d’une Transcendance extérieure est devenue si naturelle que ce que j’écris ici semblera bien sûr totalement inadmissible à certains. On ne peut toucher facilement à ce qui fait le fond de la personnalité une fois constituée sur ces bases. C’est toucher à « papa / maman », et beaucoup s’y refusent, car s’ils le faisaient, en eux, pensent-ils plus ou moins consciemment, tout s’écroulerait.

Je ne verrais d’ailleurs aucun inconvénient à les laisser dans une illusion qu’ils peuvent s’imaginer sous certains points consolante, si n’intervenait le lien que j’ai signalé à l’instant, entre sentiment de faiblesse personnelle et violence. Si je ne suis qu’un « avorton » comme dit saint Paul, et s’il y a au-dessus de moi un Dieu « tout-puissant », ou « plus grand que tout » (Allah Akbar !), à qui je dois me soumettre, je peux naturellement tourner en agressivité nihiliste ce sentiment de mon propre néant, surtout si je ne le vois pas partagé par d’autres, dont le bonheur et l’équilibre sont une insulte à ma propre frustration.

Il faudrait que l’homme ici fasse une révolution « copernicienne », qu’il se rende compte que ce Dieu extérieur à double visage, menaçant et rémunérateur, vient en réalité de lui-même, qu’il est créé par ses angoisses et ses attentes. Il lui faudrait comprendre qu’il cherche pour se guider une lumière qu’il a en réalité dans sa main.

Nous sommes tout au long de nos existences le lieu d’un combat qui se joue en nous, entre les forces de mort et les forces de vie. C’est en nous que nous devons regarder, scruter, examiner les forces en présence, tâcher d’optimiser leur évolution, et ne pas les imputer à Dieu ou à Diable ! Si ces entités ont encore du sens, il n’est que symbolique. Ce ne sont que les protagonistes d’un combat intérieur.

Cette intériorisation de Dieu ou du « divin » définit la spiritualité, en opposition avec la religion traditionnelle. Elle est le signe d’esprits mûris et lucides. Mais de tout temps les spirituels ont été mal vus par les religieux. Il est plus facile de fonctionner par routine et habitude, de sacraliser les textes religieux, d’obéir à ceux qui surfent sur les peurs distillées par ces textes (qu’ils en soient eux-mêmes les dupes ou bien les cyniques manipulateurs), plutôt que de réfléchir sur le vrai lieu de Dieu ou du divin : les tréfonds mêmes de notre être. C’est à nous-mêmes que nous avons affaire. Dieu ou divin ne sont nulle part ailleurs.

 

22/11/2015

 

© Michel Théron

 

Blog : www.michel-theron.fr

Peur de son ombre…

Michel THERON


Michel Théron est un écrivain, agrégé de lettres, docteur en littérature française et professeur de lettres honoraire en khâgne et hypokhâgne au lycée Joffre de Montpellier. Il est également rédacteur pour Golias Hebdo et Golias Magazine. Il pratique la photographie et la vidéo, et est aussi conférencier.


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