Las obros mescladissos d'un baroun de Caravetos, Les œuvres mêlées d’un baron de Caravètes, Jacques Roudil, édition critique avec introduction, notes et traduction du manuscrit autographe 296 du CIRDOC, par Claire Torreilles.
Presses universitaires de Montpellier – Collection « Estudis occitans ».
De 1632 à 1689, l’avocat Jacques Roudil écrit à Montpellier la poésie de son temps, plurielle et polyglotte, au gré des circonstances, de l’humeur et des lieux. Les moments d’une vie et les tensions du siècle s’inscrivent dans ces mélanges poétiques, ces obros mescladissos qui se jouent de la variation des langues et des genres. En français, en occitan et en latin, Roudil s’adresse à ses contemporains, ses collègues, ses femmes, ses compagnons de cabaret, sa famille, les Grands, le Roi, en usant de toutes les ressources maîtrisées du sonnet, de l’épigramme érotique ou encomiastique, du ballet carnavalesque ou de la satire.
Dans le paysage littéraire montpelliérain, Roudil prend la suite d’Isaac Despuech qu’il édite en 1650. Protestant comme lui et esprit libre, il témoigne des changements de la société et des progrès de l’intolérance. Mais sa poésie reste, à tous les âges, une célébration de la vie à travers une conscience vive du monde et de soi, une ironie alternativement légère et rageuse.
Cette nouvelle édition est enrichie des derniers poèmes inédits qui chantent notamment les plaisirs de Pignan, « ce beau lieu » où le poète aspire à une retraite à l’antique, entre ses livres et son jardin, ses vignes et ses oliviers, dans l’ancienne maison des rois de Majorque.
ÉMISSION II – Les publics de Roudil
Q. Roudil, poète de Montpellier au XVIIe siècle, pour qui écrit-il, à qui ? Quel est son public ?
R. Ses publics. Selon les cas, aux femmes qu’il aime ou qu’il n’aime pas, aux Grands pour leur demander de considérer son œuvre, pour les féliciter ou les faire sourire, à ses collègues de la Cour des Aides, pour relayer les derniers potins… Il participe aux jeux de salons : écrire un sonnet à partir de « bouts rimés » ou sur un thème à la mode : La Belle Matineuse / La bèla Matinièra. La pièce la plus connue. Dédiée à Rozinde, sa femme, Marie de Fargues, épousée en 1643.
Les quatrains disent que le matin il sort pour contempler l’aurore et en même temps que lui Rozinde apparaît dans l’éclat de sa beauté.
LA BELO MATINIERO
Ioy su lou gran matin, ieu souy sourtit deforo
per refresqua moun cor que brullo coum’un four
quant ay vist pauc a pauc apareysse l’auroro
que lasso de dourmi reveillavo lou jour.
Rouzindo en memo tens doun l’amour me devoro
pareys en tan de trets qu’elo porto toujour
que cadun que la vey tout embahit demoro
e crey qu’aquos aqui la maire de l’amour.
Cepandan lou sourel sourtis lou cap, mourregeo
e vezen que pertout la terro e l’er flammegeo
e qu’aquelo beutat trelusisie may quel,
de poou d’ave l’afroun pres d’aquelo poulido
sans liou dire dous cops s’es enfugit d’ausido
e Rozindo despioy nous servis de sourel.
LA BELLE MATINEUSE
Très tôt ce matin je suis sorti
pour rafraîchir mon cœur brûlant comme fournaise
quand j’ai vu peu à peu apparaître l’aurore
qui lasse de dormir réveillait le jour.
Rozinde en même temps dont l’amour me dévore
surgit, parée comme toujours de tant de traits
que chacun la voyant reste stupéfait
et croit apercevoir la mère de l’amour.
Cependant le soleil sort la tête, montre son nez
et voyant que partout la terre et l’air flamboient
et que cette beauté brillait bien plus que lui,
de peur de l’affront que lui ferait cette belle
sans se le faire dire deux fois il s’enfuit aussitôt
et c’est dès lors Rozinde qui nous sert de soleil.
C’est la rhétorique du temps. Le soleil éclipsé par la beauté. Mais pour montrer que l’occitan « peut y aller » comme les autres langues.
Roudil commence par écrire des sonnets pétrarquisants en français. Puis il introduit l’occitan et le latin, et de façon de plus en plus importante à mesure que l’œuvre avance. Mais ce qui lui plaît par dessus tout c’est de jouer sur le passage d’une langue à l’autre, sur la variation, la transposition.
Traduire une ode d’Horace en français puis en « vulgaire », faire une épigramme en occitan et presque la même, mais pas tout-à-fait, en latin… Au XVIIIe beaucoup de poètes occitans ont commencé de même par des traductions des classiques : Fabre, Séguier, Aubanel de Nîmes… Ils étaient des humanistes, tout comme Roudil.
Q. Un exemple de poésie d’homme de lettres ?
R : Une traduction latine d’Anacréon, suivie d’une traduction en occitan, une ode sur le cycle de l’eau :
Facunda terra potat la terre féconde boit
hanc arboresque potant, les arbres la boivent
et potat æquor auras la mer boit les vents
Phœbusque potat æquor et Phébus boit la mer
La terro produis en beuven
e l’aubre la beu, e s’y foundo
la mar oundouso beu lou ven
e lou sourel ly beu soun oundo
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