Nous, les gadjés (les non-Roms), sommes nourris de l’imaginaire que distillent les Roms. Nous vibrons au son du jazz manouche de Django Reinhardt et nous apprécions les films de Kusturica ou de Tony Gatlif. Or la réalité à laquelle se heurte cet imaginaire est sombre. Elle est faite d’exclusion, de conditions sociales inacceptables, de discrimination et de rejet grandissant: refoulement aux frontières, démantèlement de campements roms, manifestations de haine anti-Roms, attaques meurtrières en Hongrie…
Les Roms figurent au top ten du racisme et des discours haineux, depuis que les politiciens en ont fait les nouveaux boucs émissaires de leur incapacité à gérer notre vivre ensemble. Que l’on songe aux propos du ministre français à l’égard des Roms vivant dans des campements, qui «ne souhaitent pas s’intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles ou parce qu’ils sont entre les mains de réseaux versés dans la mendicité ou la prostitution.» Ces allégations, qui ont scandalisé les organisations de défense des Roms, en viennent à banaliser et à légitimer la xénophobie latente. Partout, on généralise, on amalgame, on stigmatise, on manipule les images et l’opinion, on joue sur la peur du «nomade», en faisant appel aux stéréotypes les plus caricaturaux.
Certes, en Suisse, la communauté rom est moins touchée par cette stigmatisation. Ses membres y sont majoritairement bien intégrés. Mais… demandez à ce serveur, qui se dit kosovar, pourquoi il n’avouera jamais son origine. La réponse est simple: afficher son identité rom, c’est être constamment confronté aux clichés réducteurs qui les poursuivent depuis des siècles.
Et puis, qui conçoit qu’il y a chez nous des architectes, des banquiers ou des entrepreneurs roms? Pourtant ces Roms «invisibles» sont présents dans toutes les couches de la population, nous confirme Stéphane Laederich, lui-même membre de cette communauté. Ce sont eux les Roms de notre pays.
Or, si les mendiants roms ou les gens du voyage ne représentent que 1% des Roms en Suisse, les médias ne parlent que d’eux, ou presque, et de quelle façon! Nous avons voulu aller à leur rencontre. L’historien Thomas Huonker, qui nous rappelle la politique génocidaire que la Suisse a menée contre eux, m’a cité cette phrase d’Albert Einstein: «Il est plus facile de désintégrer un atome que de vaincre un préjugé.»
Carole Pirker